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Pour danser au soir ...



L'arrivée en salle est bruyante et joyeuse. Les spectateurs s'installent sur scène. Au milieu d'eux se trouve Olivier Dubois. Il fume, il boit, il râle, il distribue des "canons" en attendant les retardataires. "Tiens, qui a soif ? Prends ça, puis fait passer le verre !" dit-il à un des spectateurs installés. "S'il y a des envies pressantes de fumer, de boire un canon ou d'autre chose, clame-t-il, il y a ! S'il n'y a pas, on trouvera !" Il nous met à l'aise, il règne un peu une ambiance de fête, rien ne ressemble à une entrée en salle traditionnelle. Un peu dans le même style, j'avais assisté à une incroyable performance de Dave St-Pierre, Néant 360, en octobre 2017 dans le cadre d'Actoral : Dave St-Pierre seul en scène (mais peut-être pas dans sa tête) effectuait une performance de 6 heures, alternant moments chorégraphiques et moments de jeu et d'altercation avec le public. J'avais adoré ça. Autant dire qu'en arrivant vendredi soir à KLAP, les premières minutes de Pour sortir au jour m'avaient déjà conquises.


"Néant 360", Dave St-Pierre

"C'est bon, tout le monde est là ? demande Olivier Dubois. Bon, on va pouvoir commencer." Il finit cul sec son verre de mousseux et va s'installer à sa table, sur laquelle se trouvent un ordinateur, un micro sur pied et une mystérieuse boite blanche et noire. Après avoir manqué de faire tomber son micro, il commence à parler. "Je suis très heureux d'être ici, dit-il" Moi aussi, je suis très heureuse, et pourtant je ne sais pas encore ce qui m'attends. Il poursuit : "Suis-je une œuvre d'art ? Mon corps contient des milliers de gestes. Peut-on considérer que le danseur, qui est la chair de l'art performatif et de facto de la danse, est lui-même une œuvre d'art ? Dans ce cas là, je serais même un putain de chef-d’œuvre !" Il rit, se ressert un verre. "L'histoire de la danse, c'est en fait l'histoire de millions de corps de danseurs et de danseuses. On pourrait retracer une histoire de l'art à partir de mon corps. On va jouer à un petit jeu tous ensemble ..." Il ouvre la boite noire et blanche, à l'intérieur se trouvent des enveloppes : les enveloppes des danses, les enveloppes des musiques. Il appelle 3 personnes du public sur scène. Ils tirent deux enveloppes. Sur la première, il lit le nom d'une pièce chorégraphique qu'il a dansée dans sa vie, l'année, le chorégraphe. Dans la deuxième enveloppe, un numéro. Celui d'une musique. La personne qui a tiré a le choix entre cette musique et la musique originale de la pièce. Olivier Dubois danse un extrait. A la fin, il demande à la troisième personne quel vêtement il doit enlever. La dame, pas très rassurée, dit : "La chaussure ?" Il acquiesce. Elle commence à retirer sa propre chaussure, mais il l'arrête en criant : "Mais non, pas vous, moi !" Toute la salle explose de rire. Les 3 personnes retournent s'asseoir, 3 autres se lèvent...

Tout le monde commence à comprendre. Ce sera très intime, Ce ne sera pas très pudique. Ce sera avec nous ou ça ne sera pas. Et moi je dis "Oui", ça sera avec moi.

Au bout d'un moment je me lève. Moi aussi je veux choisir une enveloppe. Je tire la danse. Tragédie, par Olivier Dubois. Une sorte d'extase m'envahit ; le hasard fait quand même très bien les choses. Tragédie est la seule pièce d'Olivier Dubois que j'aie vue avant celle-ci, et j'étais littéralement tombée amoureuse d'elle, c'est-à-dire qu'elle m'avait procuré les mêmes sensations qu'un coup de foudre : la surprise, les battements de cœur, l'instant qui échappe à la course du temps, la fascination, une transcendance. Cette pièce avait changé quelque chose dans ma vie. Alors, je ne pouvais être plus heureuse à ce moment précis où le hasard avait mis "Tragédie" entre mes mains. Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, la musique tirée au sort était pile la musique du spectacle. La musique démarre, et avec elle je retrouve cette pulsation enivrante. Je me prends au jeu de compte les 12 temps de la marche qui caractérisent cette chorégraphie.


"Tragédie", Olivier Dubois

Puis vient le temps des confessions. Pour ajouter du piment à cette soirée, Olivier Dubois fait tourner un sifflet dans le public. Celui qui le reçoit peut interrompre le spectacle pour entendre une confession. Encore une fois, celles-ci se trouvent sur des enveloppes et sont tirées au sort. Certaines sont drôles, d'autres embarrassantes, certaines sont cruelles. L'une d'elles raconte ses débuts comme danseur et sa tentative d'intégrer la formation Colline (à Istres). Pour la raconter, il appelle un jeune homme sur scène et lui tend un texte. Il lit au micro, à la première personne, l'histoire d'Olivier, 23 ans, à qui on donne un mois pour faire ses preuves avant de décider s'il pourra ou non intégrer la prestigieuse formation. Pendant tout ce temps, Olivier Dubois est sur scène, silencieux, regarde le public. Le jeune homme arrive au moment du verdict des juges, et Olivier Dubois prend la parole : "Tu ne seras jamais danseur Olivier ! Tu es un boulet pour la formation. Regarde toi en face, tu n'es pas fait pour ce métier, tu n'as aucune chance d'y arriver un jour."

Merci mesdames et messieurs les Maîtres d'avoir eu si peu de discernement, merci Olivier de nous avoir prouvé que quand on y croit plus que tout et qu'on se donne les moyens d'y arriver, il est possible d'atteindre n'importe lequel de ses rêves.

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